L'association VREDE a publié en néerlandais une brochure très didactique concernant la lutte pour le désarmement nucléaire mondial. En attendant sa traduction complète, voici quelques extraits de ce document en français.

En 2021, soit plus de 75 ans après les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, les armes nucléaires sont devenues illégales au regard du droit international, Pourtant, il y a encore dans le monde un nombre de tètes nucléaires estimé à 13400. Une vingtaine d'entre elles se trouvent en Belgique. En 2020, un sondage a démontré que seulement 46 % des Belges étaient au courant de la présence d'armes nucléaires sur notre territoire. Il est grand temps de faire le point sur la situation. Comment ces armes atomiques sont-elles arrivées ici et pourquoi s'y trouvent-elles encore et toujours ?

Quels pays possèdent des armes nucléaires ?

En cette année 2021, il y a neuf pays qui possèdent ensemble environ 13 400 armes nucléaires. Environ 90 % des têtes nucléaires sont dans les mains de la Russie et des Etats-Unis. Aux côtés de la Chine, de la France et du Royaume Uni, ils forment les puissances nucléaires officielles.

Il est à relever qu'elles ont adhéré au traité de non-prolifération (TNP) de 1970. Le Pakistan, l'Inde, Israël et la Corée du Nord sont les quatre autres seuls Etats dotés de l'arme nucléaire. Ils n'ont toutefois pas rejoint le TNP.

Les Etats-Unis stockent une centaine d'armes atomiques en Europe. Des bombes atomiques ont ainsi été « transférées » des USA vers la Belgique, la Turquie, l'Italie, l'Allemagne et les Pays-Bas. Selon certaines estimations, dans notre pays, il y aurait vingt bombes atomiques sur la base militaire aérienne de Kleine Brogel. A l'exception de la Turquie, tous ces pays possèdent des avions de combat qui ont la capacité de transporter et de larguer des bombes atomiques. Dans le cas de la Belgique, ce sont les F-16, qui seront remplacés dans un avenir proche par des F-35.

Tant la Russie que les USA sont en ce moment occupés à renouveler leur arsenal nucléaire. En outre, les autres Etats détenteurs investissent de façon substantielle dans le renouvellement et même l'extension de leur arsenal. Le Royaume Uni a annoncé en mars 2021 qu'il étendrait son arsenal à 260 têtes nucléaires. La France a testé de nouveaux missiles en avril 2021

Le saviez-vous ?
La force aérienne belge participe activement aux exercices nucléaires annuels de l'OTAN, l'opération Steadfast Noon. Les pilotes belges s'exercent ainsi avec leurs avions de combat F-16 au largage éventuel d'armes nucléaires.

Quel est le coût des programmes nucléaires militaires ?

L'entretien, le renouvellement  et l'extension des arsenaux nucléaires nécessitent des dépenses financières très élevées. Selon un rapport de l'ICAN (International Campaign to Abolish Nuclear Weapons), les différents Etats détenteurs de l'arme atomique ont dépensé dans ce cadre 72,9 milliards de dollars en 2019. Les USA ont dépensé 35,4 milliards de dollars, soit presque autant que tous les autres Etats détenteurs de l’arme atomique réunis.

La Chine vient en deuxième position, suivie par le Royaume Uni et la Russie. Ces chiffres mettent cependant en évidence uniquement l'entretien et le développement de têtes nucléaires et de systèmes de lancement (missiles. largueurs de bombes etc.). Le coût véritable de la préservation de tout le système nucléaire est estimé à un montant 50 % plus élevé.

Il y a en outre beaucoup d’argent à se faire avec le développement des armes nucléaires. Selon le rapport Don't Bank on the Bomb, 325 établissements financiers ont investi entre janvier 2017 et janvier 2019 plus de 900 milliards de dollars dans des entreprises impliquées dans la production d'armes nucléaires. Les banques dans notre pays investissent elles aussi l'argent de l'épargne de leurs clients dans la production d'armes atomiques. Ces le cas de BNP Paribas. de Deutsche Bank et d'ING, qui ont investi ensemble plus de 17 milliards de dollars chez des fabricants d'armes atomiques.

Le saviez-vous ?
Le gouvernement belge a signé en 2018
un contrat d'une valeur de 4 milliards d'euros avec le fabricant d'armes Lockheed Martin pour l'achat de 34 nouveaux avions de combat F-35. Les coûts pour la durée de vie totale des F-35 sont estimés cependant à 15 milliards d'euros ! La facture sera salée lorsque l'on sait qu'une heure de vol d'un F-35 a un coût qui peut être évalué jusqu'à 40 000 euros. Le Gouvernement a fait savoir en fin 2020 que ces nouveaux avions de combat seront équipés avec une technologie permettant le transport d'armes nucléaires.

Comment les armes nucléaires ont-elles atterri en Belgique ?

Les armes nucléaires et la démocratie ne font pas bon ménage. Dans notre pays, chaque débat parlementaire sur les armes nucléaires présentes sur notre territoire est rendu impossible. Chaque question posée au ministre de la Défense est invariablement évacuée avec cette phrase : « Nous ne pouvons ni confirmer, ni démentir qu'il y a des armes nucléaires ».

Les armes nucléaires états-uniennes sont arrivées en Belgique de manière sournoise. Le parlement belge a lui-même voté pour se mettre hors-jeu et pour passer la main au gouvernement concernant l'installation d'armes nucléaires dans notre pays.

Fin 1957, l'OTAN a pris la décision fondamentale de mettre à la disposition des alliés européens de l'Alliance des armes nucléaires des USA. Le gouvernement belge, dirigé alors par le Premier ministre Achille Van Acker, a décidé à ce propos qu'il n'y aurait aucune arme nucléaire sur le territoire belge.

Le gouvernement suivant, dirigé par Gaston Eyskens, est revenu sur cette décision. Il a donné en 1959 son autorisation à l'installation d'armes nucléaires sur le sol belge. ll fallait seulement trouver une parade pour contourner le parlement. La constitution belge, dans son article 185, affirme toujours : « Aucune troupe étrangère ne peut être admise au service de l'Etat, occuper ou traverser le territoire qu'en vertu d'une loi. ». Et en Belgique c'est encore et toujours le parlement qui fait les lois.

Mensonges et prise de décision rampante

Pour mettre le parlement sur une voie de garage, le gouvernement a fait voter en juin 1962 une loi sur le stationnement des troupes et du matériel OTAN dans notre pays. Cette loi statue que le gouvernement belge reçoit le pouvoir de décision. Le premier et aussi l'unique article de cette loi affirme que « les troupes des Etats liés à la Belgique par le Traité Nord-Atlantique peuvent passer et séjourner à l'intérieur des frontières, et dans des limites et conditions fixées pour chaque cas dans des accords d'exécution à conclure avec les gouvernements intéressés ». Le parlement a avancé un amendement visant à exclure explicitement les armes nucléaires de cette loi assez vague. Paul-Henri Spaak, à l'époque ministre belge des Affaires étrangères, assura cependant qu'aucun amendement n'était nécessaire parce que « ce n'est pas l'intention du gouvernement de permettre l'installation d'une plateforme de lancement nucléaire en Belgique ». Après cette fausse promesse du gouvernement le parlement a approuvé la loi de 1962. Cette loi a donc pu passer sur base d'un mensonge. Elle a été une ruse pour échapper à l'accord de gouvernement qui était contre l'installation d'armes nucléaires sur notre territoire.

En fait la véritable décision concernant l'arrivée d'armes atomiques en Belgique avait été prise dans le cadre de l'OTAN un certain nombre d'années avant que ne soit votée la loi de 1962. L'Alliance avait défini (et continue de définir) ce que sont ses besoins en matière nucléaire et quel rôle est dévolu aux différents Etats membres. En principe, le gouvernement belge pouvait refuser d'autoriser la présence d'armes atomiques sur le sol belge, mais en pratique il était difficile d'aller à l'encontre de la demande concrète de l'OTAN, parce que le gouvernement s’était préalablement déclaré en accord avec la politique générale en matière d'armes nucléaires de l'Alliance.

Il s'agit ici d'un cas d'école de prise de décision rampante.

En 1963, les premières bombes nucléaires US arrivèrent en Belgique.

Le saviez-vous ?
Le ministre belge de la Défense De Crem (CD&V), lors d'une visite à Kleine Brogel en 2008, a confirmé qu'il y avait des armes nucléaires en Belgique  « La Défense ne nie, ni ne confirme, mais tout le monde sait qu'il y a une capacité nucléaire ». Plus tard, il a affirmé qu'il s'agissait d'un lapsus.

Que se passe-t-il au niveau international autour des armes atomiques ?

Les USA sont les premiers à avoir développé, testé et utilisé larme atomique, avec les bombardements d'Hiroshima et Nagasaki. Le monopole des Etats-Unis sur l'arme nucléaire fut cependant de courte durée.

L'Union soviétique développa des armes nucléaires en 1949, suivie peu après par le Royaume Uni, la France et la Chine. En outre, un certain nombre d'autres pays, comme l'Afrique du Sud, la Suède et l'Argentine, ont lancé leur propre programme d'armes nucléaires, abandonné depuis. Les armes de destruction massive se sont donc répandues à un rythme plus que soutenu sur toute la planète. Dans les années 1960, la conviction s'est développée que cette dangereuse 'prolifération' d'armes nucléaires devait être stoppée. Ainsi ont commencé les négociations pour contrer cette diffusion d'armes atomiques.

Le Traité de non-prolifération (TNP)

En 1970 a été établi le Traité de Non-Prolifération. Le traité en question repose sur trois piliers qui sont étroitement liés entre eux :

  1. Non-prolifération ou prévention d'une diffusion accrue des armes nucléaires. Les Etats détenteurs de l'arme nucléaire (USA, Russie, Chine, France et UK) s'engagent à ne pas transférer d'armes nucléaires vers des Etats qui ne la possèdent pas, et s'engagent en outre à ne pas les aider à les développer (article 1). Les Etats qui ne la possèdent pas s'engagent à ne pas la développer ni à l'acquérir.
  2. Désarmement nucléaire. Dans l'article 6 du traité, les Etats, qu'ils possèdent ou non l'arme nucléaire. s'engagent à négocier de bonne fo pour faire des efforts dans le but de trouver des mesures effectives en vue d’une fin rapide de la course aux armements nucléaires et d’un désarmement nucléaire, et en vue d’un traité de désarmement général et total.
  3. Utilisation pacifique de l'énergie nucléaire. La technologie nucléaire acquise doit être à la disposition de tous dans des buts pacifiques et civils comme l'énergie nucléaire. L'Agence Internationale de l'Energie atomique (AIEA) va veiller à cela en procédant à des contrôles réguliers

Bien que le TNP soit encore considéré après un demi-siècle comme la pierre angulaire du désarmement nucléaire, ses insuffisances et ses contradictions sont également apparues au grand jour. Le TNP n'a pas empêché le fait qu'Israël, le Pakistan, l'Inde et la Corée du Nord aient pu acquérir des armes atomiques. En outre, aucun travail de désarmement général n'a été effectué (article 6), parce que les rédacteurs du traité n'avaient pas prévu de contraintes juridiques ni de date-butoir.

Depuis qu'aucun progrès n'a été enregistré sur le plan du désarmement, certains pays ont remis en question l'efficacité du TNP. Le traité semble avaliser après tout une situation où quelques puissances privilégiées peuvent détenir des armes atomiques, alors que le reste du monde doit promettre de ne pas en acquérir. En revanche, nous voyons chez les signataires du traité de nombreuses violations de son esprit : le renouvellement et l'extension des arsenaux nucléaires existants, le refus d'être contrôlé par l'Agence Internationale de l'Energie Atomique, etc.

Le saviez-vous ?
La Belgique est membre du TNP. C'est pourquoi elle ne peut ni acquérir d'armes nucléaires transférées ni en contrôler. Pourtant il y a dans notre pays selon certaines estimations 20 bombes atomiques états-uniennes et des pilotes de combat belges s'entraînent avec des F-16 à lâcher ces bombes. Cela est totalement contraire à l'esprit et à la lettre du traité, non ?

Le traité d'interdiction des armes nucléaires (TIAN)

Suite à ces insuffisances et en tant qu'élaboration plus poussée de l'article 6 du TNP, le Traité d'Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN) a été négocié sous les auspices de l'ONU. Cela est dû entre autre à l'initiative de l'ICAN, réseau international pour l'abolition des armes nucléaires récompensé en 2017 par le Prix Nobel de la Paix pour ses efforts.

Le 7 juillet 2017, 122 pays se sont rassemblés à l'Assemblée Générale de l'ONU autour du TIAN. Ce traité est, à la différence du TNP, équivalent pour toutes les parties qui le ratifient. Il interdit aux pays de développer, de tester, de produire, de fabriquer, de transférer, de posséder, d'entreposer, de larguer et de menacer d'utiliser l'arme atomique. De surcroît, il prohibe que l'on autorise le stationnement de telles armes sur son territoire.

Le TIAN contient aussi des obligations positives. Les plus importantes sont l'obligation d'aider les victimes des essais et des attaques nucléaires, et la réparation des régions touchées par ceux-ci. Le 22 janvier 2021, un peu plus de 75 ans après que deux bombes aient détruit Hiroshima et Nagasaki, le TIAN est entré en vigueur. Les armes nucléaires sont enfin illégales au regard du droit international (exactement comme les armes biologiques et chimiques). Le TIAN a été entretemps ratifié par 54 pays et signé par 86 pays.

La Belgique n'en fait pas encore partie.

Le saviez-vous ?
La Belgique a refusé de prendre part aux négociations sur un traité qui interdirait les armes nucléaires et a finalement voté également contre l'approbation du TIAN. Bien que dans l'accord de gouvernement fédéral du 30 septembre 2020 il soit stipulé de rechercher comment le TIAN pourrait donner une nouvelle impulsion au désarmement nucléaire multilatéral, notre pays a voté quelques mois plus tard contre une résolution à l'Assemblée Générale de l'ONU qui avalisait le TIAN.

De nouveaux missiles de croisière en Europe ?

Le besoin d'un traité qui interdise les armes nucléaires est devenu plus évident après l'échec et la résiliation de différents traités de contrôle des armements ces dernières années. Le Traité sur les Forces Nucléaires Intermédiaires (FNI) a cessé d'exister en 2019 après le retrait unilatéral des USA —un exemple suivi ensuite par la Russie. Ce traité interdisait aux deux puissances mondiales de produire, de posséder et de déployer des missiles ayant une portée de 500 à 5500 kilomètres.

Le traité FNI qui était entré en vigueur en 1988, a joué un rôle important dans le contrôle mondial des armements et avait ouvert la voie au retrait des missiles Pershing et des missiles de croisière d'Europe, notamment de la base militaire aérienne de Florennes en Belgique. Maintenant que ce traité FNI n'existe plus, les USA et la Russie peuvent recommencer à développer des missiles de portée intermédiaire. Et c'est ce qu’ils font.

Dans l'actuel contexte politique de confrontation avec la Russie, on peut même craindre que des missiles à moyenne portée dotés de têtes nucléaires soient à nouveau installés.

L’OTAN et les armes nucléaires

A partir de 2010, l'OTAN a introduit pour la première fois de façon explicite l'idée que les armes atomiques formaient un des piliers centraux de sa stratégie générale. La répartition des tâches au plan nucléaire est depuis des années discutée au Nuclear Planning Group (NPG) dont tous les Etats membres de l'Alliance peuvent faire partie, à l'exception de la France. Selon le concept stratégique actuel, l'OTAN est officiellement favorable au désarmement nucléaire, mais elle restera une alliance nucléaire aussi longtemps qu'il y aura des armes nucléaires dans le monde.

Bien que l'OTAN s'affiche favorable au désarmement nucléaire, sa position hostile au TIAN montre un tout autre visage. Dès le début des négociations, l'OTAN a exercé des pressions sur ses Etats membres pour les empêcher de prendre part à l'élaboration du traité ou de voter en sa faveur. L'OTAN considère le TIAN comme incompatible avec le fait d'être dans ses rangs, et ce bien qu'il ne soit nulle part fait mention d'armes nucléaires dans sa charte.